Kansas City

13.11.07
Par LRC
Robert Altman - Kansas City

“Kansas City”, bande originale du film de Robert Altman, est sans doute l’album qui m’a fait basculer du côté jazzy de la force. J’ai depuis un faible pour les big-bands, le 4/4, le whisky et le Jazz-New Orleans.
On appréciera l’album à sa juste mesure avec un peu d’histoire, c’est un peu long mais j’aime l’histoire.

Dans les années 30, Kansas City était un carrefour commercial important, à mi-chemin entre Dallas et Chicago, entre New-York et Los Angeles. Mais surtout la ville fut marquée à cette époque par un personnage légendaire: Tom Pendergast.
Politicien, homme d’affaires, il dirigea la ville d’une main de fer pendant deux décennies, par l’intermédiaire de politiciens de paille qu’il faisait élire grace à son immense fortune. Trés religieux, il passait son temps entre la politique, l’église et sa famille et, dit-on, se couchait tous les soirs à neuf heures. Il lança des grands travaux effrénés (en étant propriétaire bien sûr de la plus grosse entreprise de construction) ce qui accrut sa popularité en créant des emplois et noua de nombreux liens avec la mafia locale afin d’asseoir son pouvoir.

Les lois sur l’alcool, entre autres, n’étaient jamais appliquées. L’administration et la police étaient corrompues jusqu’à la moelle, Pendergast s’étant toujours arrangé pour qu’ils soient peu payés afin de pouvoir les diriger à coup de dollars. La ville devint réputée pour ses innombrables bars, casinos et bordels: un lieu où l’on savait s’amuser.
Kansas City, ville de toutes les débauches à une période où l’Amérique puritaine était en pleine prohibition.

En plus des ouvriers du batiments et des mafieux, une autre catégorie connut un age d’or: celle des jazzmen. Les nombreux clubs essayaient d’attirer les meilleurs musiciens pour asseoir leur réputation, tandis que les mafieux voyaient plutôt d’un bon oeil la scène musicale se développer: ce jazz semblait un facteur positif à la consommation d’alcool…
Une tradition du jazz, toujours vivace aujourd’hui dans le hip-hop, est d’ailleurs née ici: celle des “music battles” où des musiciens s’affrontaient en direct à coup de solo devant des salles chauffées à blanc. La concurrence musicale était rude, mais saine, et cela contribua à créer un style débridé et festif, dont les représentants les plus célèbres sont Lester Young, Count Basie, Coleman Hawkins et le jeune Charlie Parker.

Gangsters, politiciens véreux, femmes, musique et alcool. Tous les ingrédients nécessaires à un bon film noir étaient présent à Kansas City et c’est cette ambiance que Robert Altman a essayé de transposer. Grand amateur de musique, il se permit de recruter la fine fleur du jazz actuel pour la bande originale du film: James Carter, Joshua Redman ou Craig Handy sont les plus connus.

L’idée centrale de l’album est simple. Plutôt que d’essayer de reproduire en studio l’ambiance des années trente, chaque morceau a été enregistré en une seule prise, en concert dans un club de la ville, afin de laisser les musiciens réinterpréter les vieux standards de l’époque avec le maximum de spontanéité. Le résultat n’en est que plus impressionant. Au lieu d’un moment de nostalgie, on se retrouve avec un set lubrique et énergique, mais aussi spirituel.

“I Left my Baby” est un grand moment de southern blues qui rappelle que le jazz, comme le rock, doit presque tout à cette musique. “Yeah, man” est une bataille épique entre les saxs de Handy et de Redman, dans d’hallucinantes spirales cuivrées.
“Lafayette”, reprise de Count “Atomic” Basie, comporte lui aussi un duel mais cette fois il s’agit des trompettes de Payton et James Zollar. C’est d’ailleurs un morceau que je recommande à ceux qui n’aiment pas trop le jazz. Impossible de ne pas être emporté par un tel ouragan de groove.
Pour finir, “Solitude” est une reprise de Duke Ellington avec des parties de basse athmosphériques de Ron Carter et Don Byron. Du dub avant l’heure.

La fin de la prohibition, la chute de Tom Pendergast (qui tombera comme Al Capone pour fraude fiscale) furent le prélude d’un assainissement des moeurs politiques: la ville voulait redevenir respectable. Le tout sera fatal à la scène nocturne et bientôt les meilleurs jazzmen quittèrent Kansas City pour New-York, et y fonder les racines du jazz moderne.

Sur place ne reste plus aujourd’hui que quelques clubs pour nostalgiques, ainsi que l’American Jazz Museum.

Kansas City Band – “Kansas City – Original Soundtrack” (1996, Verve)

“Yeah, Man”

“Lafayette

“Solitude (Reprise)”

 

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