Continents

17.12.07
Par Mille Pattes

On prête à un John Lee Hooker à l’article de la mort cette jolie phrase « Je peux mourir serein, je sais qu’Ali Farka Touré est toujours vivant ». Aujourd’hui ils sont tous les deux morts, c’est bête.

L’un était américain et l’autre malien, et nul ne sait par quel prodige leurs musiques se ressemblaient autant. Les influences se perdent dans le passé et échappent aux artistes. Hooker fut énormément inspiré par son beau père, mais qui sait qui a inspiré le beau père d’Hooker ? Alors, Hooker très indirectement inspiré par ses aïeux africains ? Pourquoi pas.

De l’autre côté, l’africain n’ignorait rien de son alter égo américain. Sa position de cadet lui permit de mélanger à loisirs des influences lointaines avec celles issues des traditions musicales maliennes.

La nouvelle de l’arrivée du bluesman africain fit grand bruit dans le landerneau des thuriféraires du blues. « Ainsi donc le blues serait malien ». Cette musique que l’on croyait née dans le Delta d’un sud américain raciste et esclavagiste puiserait ses racines dans un passé bien antérieur.

Pour qui aime les récits épiques sur l’origine des choses il y avait de quoi se repaître.

Ry Cooder – dont la musicologie est devenu le fond de commerce – s’empara du phénomène et signa avec le griot un album somptueux. C’était bien avant qu’il ne coache une joyeuse maison de retraite cubaine.

John Lee Hooker

Contrairement à bons nombres d’artistes africains Touré maintiendra une intégrité parfaite tout le long de sa carrière. Bon nombre de producteurs rapaces lui proposèrent « d’adapter » au marché européen cette musique trop aride : de l’électricité, une boîte à rythme, trois danseuses callipyges et ça roule coco … ( qu’Alpha Blondy m’excuse ). Tous furent gentiment éconduits. Par ce choix radical il se coupa net d’un succès populaire en Europe mais pu mourir digne. A méditer.

A propos de méditation il y a de quoi faire sur les ressemblances entre les deux géants qu’un océan séparait. Je vous laisse juge.

John Lee Hooker – “Gonna use my rod” tiré de “That’s my story” (1960, RiverSide)

Ali Farka Touré – “Amadnrai” tiré de “Talking Timbuktu” (1993, World Circuit)

 

3 commentaires

    1. LRC le :

      Bonne analyse! J’aime le talking timbutu, mais si c’est l’album le plus connu, le premier album éponyme est encore meilleur je trouve

    2. Juanito le :

      Effectivement bon artiste et bonne analyse. De mon coté, j’ai découvert et aimé Ali sur son album avec Ry Cooder.
      Les affinités entre blues et musique africaine sont fortes . En dehors du blues qu’à pu écouter Ali, il y a aussi l’héritage culturel et musical de l’esclavagisme. Un héritage sanglant et une même volonté de résister et de s’affirmer à travers la musique que partagent les déportés africains, notamment au Brésil et à Cuba où ils furent nombreux. Et là aussi la parenté avec la musique africaine est très forte.

    3. ramatussi le :

      Hé bé ! je ne connaissais pas Ali farka Touré, mais il m’a bien assis ! Effectivement son jeu en cordes à vides ressemble beaucoup à celui de John Lee Hooker. Dee Dee Bridgewater qui a enregistré au Mali avec des Maliens (pour son album terre rouge, je crois) avait entendu un guitariste qui jouait le riff de Mannish boy. Le musicien lui a dit que ce riff était un motif né au Mali depuis des siècles. Ce continent africain nous réserve en effet beaucoup de surprises !

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