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07.07.15
Par Max Flash
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Une belle histoire d’images pour bien commencer l’année 2015. Dans les années 2000, Robert Swope, gentil punk rocker, trouve aux puces de Manhattan une centaine de polaroïds et quelques albums photo, remplis d’images de cross-dressers, des scènes d’une vie simple et banale, barbecues, dîners, batailles de polochon, thé sur la terrasse et petits fours. A l’évidence l’ensemble date des années 60, de l’Amérique puritaine, dure, hétérosexuelle, intolérante. Les photos font le tour de la scène fashion qui s’embrase rapidement, on soupçonne vite certains grands art directors d’avoir monté un gigantesque fake et la trouvaille d’être une très habile reconstitution historique. Un livre paraît après quelques temps chez powerhouse en 2005 et connaît un gros succès, et, inévitablement au pays d’hollywood, un spectacle se monte.

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Du coup les infos commencent à remonter et, surprise, tout était vrai. L’endroit a vraiment existé, simple maison dans un environnement champêtre et isolé, tenu par Tito Valenti ( Susanna) et sa femme qui accueillaient tous les weekends des banquiers, étudiants, avocats, workers, tous travestis, pour une pause dans la dissimulation de leur identité secrète et mener la vie ordinaire d’une femme de la classe moyenne de l’époque.

Les images, excepté leur parfum de nostalgie, sont d’une banalité terrassante et retracent la vie d’une petite communauté dont le grand but était justement d’être ordinaires, et c’était ça le truc merveilleux, être ordinaire mais dans la peau d’une femme. La dissimulation est à son comble, la vibration reste très ténue entre fantasme et réalité. Toute une société secrète entièrement organisée pour pouvoir être banal de temps en temps, faire des parties de Scrabble, des cookies, papoter tranquillement au coin du feu. Les américains sont les rois du complot, mais celui-là n’a même jamais été décelé, a mis plusieurs dizaines d’années à « sortir ».

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La photographie était ici utilisée comme un anti-schizophrénique puissant, les participants étant tous dans une situation pathogène, à côté de leur vrai genre, de leur vraie vie et menacés de toutes parts par une pression hyperbare sans limite : les dragqueens n’existaient pas, la culture gay non plus et leur activité était punie de manière religieuse dans un pays encore imprégné de damnation, de malin, de perdition, d’abomination, d’une religiosité bigote imbécile et provinciale.

A l’épreuve du temps, certains des membres de la casa Susanna se sont mariés, ont eu des enfants, suite à la sortie du livre certains ont amené leurs femmes visiter les lieux, d’autres sont revenus habillés selon leur désir, plusieurs sont devenus militants. Aujourd’hui un musical, Casa Valentina, fait un score monstre à Brodway, les photos sont étudiées sérieusement dans les écoles de mode, les galeries d’art pointues de New York ont exposé les originaux, et cette « petite bulle de dignité » comme l’appelaient les pensionnaires de la casa est devenue un business case. La vraie casa susanna est aujourd’hui à vendre chez Upstater pour la modique somme de 99000 dollars et cette maison terriblement banale tire argument de sa célébrité retrouvée pour argumenter un prix de vente surestimé. Bientôt le film, les oscars et tout le reste, en hommage aux héros d’une guerre totalement invisible, à l’époque.

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