C’EST COMMENT QU’ON FREINE

01.03.13
Par Max Flash

Les grandes chansons ont toujours une longueur d’avance, disent tout haut ce que nous ressentons tout bas, l’angoisse, la vie, l’amour, la mort… La prophétie de Bashung s’est réalisée, le temps est parti en vrille, il a accéléré sans nous prévenir et la théorie est venue préciser ce que la chanson nous sussurait de manière mélancolique et distanciée.

La théorie est venue plus de vingt ans après, plus sombre et plus effrayante que la chanson, plus glaçante : l’accélération du temps est l’ultime aliénation avant la sortie dans le décor de notre civilisation – pousse ton genou, j’passe la troisième – il faut maintenant courir pour simplement rester sur place, l’espace s’anéantit dans la vitesse du transport – ça fait jamais qu’une borne que tu m’aimes – nos relations deviennent instables, comme notre environnement – je sais pas si je veux te connaître plus loin – le présent se comprime, les moments se densifient, les rythmes évoluent, la ressource temporelle se réduit – arrête de me dire que je vais pas bien – bienvenue dans la modernité tardive de Hartmut Rosa, jeune théoricien de l’accélération et penseur de la catastrophe sociale de grande ampleur qui nous attend au coin du temps – c’est comment qu’on freine, je voudrais descendre de là -.
Notre sentiment de réalité s’amenuise, notre identité devient changeante, sans cesse remise en cause par l’accélération sociale de tout, métier, technologie, objets, mariage, politique, le sentiment d’impuissance gagne du terrain, la détemporalisation de l’histoire menace et l’ensemble de la société se désynchronise – ça sent le cramé sous les projos, regarde où j’en suis, je tringle aux rideaux -.

La chute est encore évitable mais, paradoxe critique de l’implication, il ne faut plus perdre de temps pour conjurer la catastrophe. La photographie, qui consiste justement à s’asseoir au bord du temps, peut être un bon antidote, pour preuve cette petite série sur Les Immobiles, détour par le temps qui passe sur les pierres, qui ne bougent pas, ne vont nulle part, n’entendent pas les injonctions paradoxales, ne réagissent pas et n’expriment rien, sont sans histoire et sans avenir au fond d’une rue de banlieue oubliée, pierres sans utilité et sans prétexte, mais qui existent et résistent encore et encore, car plus on va vite, plus le temps est court, comme le disait Fernand Raynaud, bien avant la chanson…

Hartmut Rosa
Aliénation et accélération
Vers une théorie critique de la modernité tardive
Editions La Découverte

 

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